La chronophotographie pour une revue détaillée du Corps Propulseur – Sylvain Zuchiatti

La chronophotographie pour une revue détaillée du Corps Propulseur

Toujours plus précis, toujours plus juste, toujours plus efficace.

Le nageur doit sans cesse faire évoluer ses actions pour élever son niveau de fonctionnement et devenir toujours meilleur nageur. Qu’en est-il de l'entraîneur ?

Pour devenir toujours plus efficace, l'entraîneur doit être toujours plus juste dans la direction qu’il fait rechercher à ses nageurs. Pour être toujours plus juste, il doit être toujours plus précis dans ces observations. 

Être au bord du bassin n’est pas toujours suffisant pour observer les actions rapides sous la surface. Les images subaquatiques deviennent un outil nécessaire pour l'entraîneur. Encore faut-il les faire parler.

Depuis des années, cette recherche de l’évaluation du Corps Propulseur m’interroge. Je ne suis jamais complètement satisfait des résultats obtenus. J’ai déjà publié quelques articles à ce sujet mais je continue de pousser l’analyse plus loin (Evaluation du corps propulseur, Corps Propulseur : comment élever le niveau de fonctionnement du nageur)

Pour être plus précis, une analyse image par image, à l’aide d’une chronophotographie est la méthode la plus précise et facile d’accès dont l'entraîneur dispose.

Dans ce document, nous verrons ensemble quelles informations nous pouvons obtenir concernant l’organisation motrice du nageur et quelles sont les conséquences sur l’enseignement à venir pour celui-ci.

Comment obtenir les données ?

Les données que j’utilise proviennent des images subaquatiques d’un nageur vu de profil et dans un référentiel exocentré. A partir de ces images, je réalise une chronophotographie des articulations clés du nageur. Les positions obtenues permettent ensuite de calculer des vitesses, des accélérations, des angles etc… Voyons ce que l’on peut tirer de ces données.

Comment le nageur utilise-t-il sa pâle ?

Une des compétences efficaces que le nageur doit construire est la capacité à transformer le mouvement circulaire de l’épaule en mouvement linéaire d’une grande surface du bras. Cette surface est plus grande si l’avant bras est impliqué contrairement à l’utilisation de la main seule.  Voyons quelques exemples avec des caractéristiques assez différentes.

Construire sa pâle avec l’avant-bras

Voilà à quoi ressemble le graphe que l’on peut obtenir pour l’angle l’avant bras et de la main par rapport à l’horizontale.

En abscisse, le temps en millisecondes, en ordonnée, l’angle en degrés par rapport à l’horizontale. La courbe bleue correspond à la main, la courbe rouge à l’avant bras. Je reviendrai sur la courbe jaune plus tard, elle n’a pas d’importance pour l’instant.

Si l’écart entre les deux courbes est constant, cela signifie que le nageur mobilise la main et l’avant bras comme un ensemble rigide. Sur cet exemple, on peut également observer qu’à partir de 3000 ms, les deux courbes se rejoignent, cela signifie que les deux segments du bras ont la même orientation. La main alignée dans le prolongement de l’avant bras. Une caractéristique que l’on recherche au moment de la poussée. 

Transformer le mouvement rotatif de l’épaule en mouvement linéaire de la pâle

Autre exemple, organisation différente.

De 2800 ms à 3100 ms environ, on constate que la main et l’avant bras conservent une orientation différente mais l’écart reste constant au fil du temps. La pale est rigidifiée. 

A partir de 3100 ms et pendant environ 100 ms, l’orientation n’évolue plus. C’est le signe que le nageur a transformé le mouvement circulaire de l’épaule en mouvement linéaire de la pale. C’est une transformation efficace que l’on recherche.

L’orientation de la main et de celle de l’avant bras sont respectivement de 96° et 72°. La main est dirigée vers l’arrière objectif alors que l’avant bras est tournée vers l’arrière et le fond.

Faire coïncider les espaces arrières subjectif et objectif

Sur ce nouveau graphique on aperçoit un palier à partir de 3000 ms pendant lequel l’orientation des segments semble constante, même si c’est moins marqué que dans l’exemple 2. En revanche, si on regarde les angles, la main est orientée à environ 115° et l’avant bras à 85°. Alors que le nageur a l’intention de pousser vers l’arrière, sa main est tournée vers l’arrière et le haut. Son espace arrière subjectif ne coïncide donc pas avec l’espace arrière objectif. La représentation mentale de son action est similaire à celle d’un terrien qui pousse dans son dos. Le nageur doit changer cette représentation en structurant son espace d’action de nageur ce qui lui permettra d'être plus efficace.

Se coordonner pour passer de la traction à la propulsion

Sur ce nouvel exemple on observe tout d’abord une pale construite avec la main et l’avant bras alignés vers 4100 à 4200 ms. L’orientation évolue jusqu’à un angle de 82°. Un peu avant 4250 ms, les segments de la pale se désolidarisent et l’avant bras perd son orientation alors que la main stabilise la sienne. Alors que l’organisation de la pale était bonne, celle-ci n'a pas été conservée au moment du passage du bras à la verticale de l’épaule. A ce moment d’effort important, le nageur doit passer d’un effort en traction à un effort en propulsion. La coordination fine nécessaire ne tient pas vis à vis de l’intensité demandée.

Le nageur se propulse-t-il en utilisant l’espace arrière avec une force d’intensité croissante ?

Dans cette seconde partie, nous allons étudier ensemble l’évolution de la vitesse des doigts et l’accélération du nageur vers l’avant.

La courbe bleue correspond à la vitesse des doigts du nageur. Lorsque elle est supérieure à 0, c’est que la main du nageur se dirige dans la direction arrière. Le moment ou la vitesse devient positive est l’instant ou les doigts changent de sens ce qui correspond au point le plus en avant des doigts du nageur. De la même manière, lorsque la vitesse devient négative. Nouveau changement de sens, la main revient vers l’avant.

La courbe jaune permet de savoir si le nageur accélère vers l’avant ou ralentit. Lorsque la courbe jaune est à son maximum, la force de propulsion est supérieure aux forces de résistance, l’accélération du nageur est positive.

En abscisse on trouve toujours le temps mais en ordonnée les unités n’ont pas de sens physique. Seule l’évolution de la courbe est intéressante, pas les valeurs atteintes.

Utiliser l’espace arrière objectif après la verticale de l’épaule

Ici on observe : 

  • Une stabilisation de la vitesse des doigts après le pic maximum
  • Une phase d’augmentation après VE

Le nageur se réaccélère vers l’avant peu de temps après le point le plus avancé, et bien après la verticale de l’épaule, en une seule fois. Cela signifie qu’il utilise son espace arrière objectif et une force d’intensité croissante sur l’eau via la pale.

Appliquer une force d’intensité croissante

Ici on observe de nombreuses phases d’accélérations. Probablement une avant le premier maximum de vitesse, probablement une autre pendant le creux entre les deux maxima locaux. L’intensité appliquée par le nageur n’est probablement pas croissante ou alors l’action du nageur se disperse dans dans d’autres directions et ne lui permet pas de se réaccélérer vers l’avant de façon franche.

Coordonner son effort pour obtenir une intensité croissante

Ici on observe une deuxième augmentation à partir du minimum local ou creux. Il y a une phase d’accélération à ce moment-là. De même que dans l’exemple précédent, le nageur utilise bien l’espace arrière après son épaule puisque la verticale de l’épaule est dépassée entre les deux maximum, aux alentours de 2900 ms. En revanche, l’accélération est séparée en deux phases, dont la première débute très précocement. Ce nageur ne parvient pas à utiliser une intensité croissante du début à la fin de son mouvement sous la surface.

Passer d’une solution spontanée à une solution efficace

Cette fois on observe un unique maximum de vitesse des doigts qui correspond à une phase d’accélération vers l’avant du nageur. Une fois cet instant passé, bien avant que le bras dépasse la verticale de l’épaule, la vitesse des doigts diminue de façon très nette. Sur ce graphique on comprend donc que le nageur n’utilise pas son espace arrière objectif. Cette organisation est typique des solutions spontanées des nageurs qui n’ont pas construit les solutions les plus efficaces.

Une intention efficace mais une action en cours de construction

De façon assez similaire au graphique précédent on remarque ici une forte décroissance de la vitesse des doigts après le maximum mais on observe tout de même une stabilisation de la vitesse aux alentours de 3400 ms. Le nageur semble tenter de faire quelque chose, c'est-à-dire d’utiliser l’espace arrière sans pour autant être capable d’appliquer une force d’intensité croissante. Le nageur semble être sur la voie pour développer une propulsion plus efficace sans pour autant la maîtriser. Cependant, on remarque tout de même que l’accélération du nageur est bien présente pendant cette timide utilisation de l’espace arrière. Ce nageur est en cours de transformation vers une propulsion bien plus efficace.

Gérer son effort tout au long de l’action

Nouvel exemple et nouvelle organisation motrice de la propulsion. La courbe de vitesse des doigts présente deux maximum avec un creux très léger entre les deux. Le nageur utilise son espace arrière mais ne semble pas tout à fait être capable de se réaccélérer efficacement. En effet la seconde phase d’accélération est tardive vis à vis de la vitesse des doigts. Il y a probablement un autre facteur qui permettrait de comprendre pourquoi le nageur accélère sa pâle sans appliquer de force suffisante. En fin de mouvement les conditions sont à nouveau réunies pour que l’accélération dans l’espace arrière soit visible. La limitation de ce nageur semble être soit dans la coordination fine du passage de la verticale de l’épaule, soit dans la gestion de l’application d’une force d’intensité croissante qui serait trop précoce et atteindrait donc la limite musculaire du nageur.

Retour en arrière

Dans la première partie, lorsque nous avons étudié les graphiques d’orientation des segments de la pale, j’ai mis de coté la courbe jaune dans mon interprétation. Cette courbe jaune est la courbe de l’accélération du nageur, comme dans la seconde partie. Vous pouvez maintenant relire ces graphiques et compléter l’analyse avec cette information. Il y a quelques découvertes intéressantes à faire.

Que faire de ces informations ?

En analysant un nombre important de nageurs, je suis frappé par la diversité des organisations motrices. Tous les nageurs font face aux mêmes problèmes mais pour se déplacer dans l’eau ils ont tous des solutions différentes. Elles ne sautent pas forcément aux yeux d’un premier regard mais dans le détail on remarque de vraies différences. Ce qui semble nécessaire c’est de faire émerger les limitations de chacun puis de les adresser une par une. 

Une autre facette de cette analyse consiste à se rappeler que puisqu’ils ont le même problème global à résoudre, c’est à dire “se déplacer dans l’eau”, et qu’effectivement ils se déplacent tous dans l’eau, alors cela signifie qu’ils ont des points communs. Comment s'organisent les nageurs pour se déplacer ? Quels sont les invariants de la locomotion humaine dans l’eau ? Pour explorer cette problématique, j’utiliserai une approche plus globale en considérant également l’action des jambes lors de la chronophotographie. Cela permettra de faire émerger la structure spatio-temporelle des actions de chaque nageur pour les comparer et enfin rédiger cela dans un nouvel article.

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